Quels enseignements tirer de la crise pour des espaces de travail réenchantés ?
Comment définir la « nouveauté » et la « normalité », termes parfois galvaudés, dans un monde en constant changement ? Comment repenser nos modes de vie à l’aune d’un épisode épidémique sans précédent qui bouleversera durablement nos perceptions et nos comportements ? Ce que la crise sanitaire nous aura appris, c’est à quel point la « normalité », les repères, la fiabilité et la confiance sont importants pour nous structurer. Elle nous aura permis de nous recentrer sur ce qui est essentiel.
Le bureau est justement un de ces repères immuables, dans ce qu’il incarne et ce qu’il représente. Il est une constance, un lieu incontournable encore largement plébiscité par les gens, peu importe leur statut contractuel, leur milieu social ou leur génération.
Toutefois, il ne faut pas le nier, le bureau évolue, il n’est déjà plus tout à fait le même que l’année passée. La crise aura conforté certains changements déjà amorcés depuis 5 ans (télétravail, coworking, digitalisation…), elle aura intégré de nouvelles pratiques qui s’encreront à long terme avec son lot de nouveautés (Apps en tous genres, new management…) mais, surtout, elle aura évincé le superflu.
Que faut-il conserver du passé ? Quelles nouveautés faut-il intégrer à notre quotidien pour dépasser cette crise et nous montrer toujours plus résilients ?
« Le bureau et le télétravail ne sont pas antagonistes, ils sont complémentaires »
Durant la crise sanitaire, des opinions très divergentes furent confrontées. Certains prédisaient la mort du bureau, d’autres l’inefficacité du télétravail. Force est de constater que les choses ne sont jamais aussi simples. Ayons l’esprit de synthèse. Les changements structurels que nous connaissons depuis ces dernières années sont toujours en cours et ont simplement été accélérés. Les confinements successifs nous auront seulement permis de prendre le recul nécessaire pour comprendre ce que nous voulons ou ne voulons plus.
Le bureau reste et restera le lieu incontournable de la socialisation. L’humain dans l’immense majorité des individus est un animal social, il a besoin de vivre au sein d’un collectif. Il se structure et évolue grâce aux interactions qu’il a avec les autres, il lui faut donc des lieux pour se rassembler et évoluer. En parallèle, le télétravail et plus généralement le nomadisme, sont des pratiques dont nous avons pu constater les nombreux bénéfices. Ils permettent une meilleure autonomisation, un gain de temps et de confort considérables. Ne l’oublions pas, le télétravail n’est pas seulement le Home Office, de nombreuses offres de coworking ou des lieux alternatifs continueront de voir le jour. Des lieux qu’il nous reste encore à imaginer. Bientôt, avec notamment le déploiement de la 5G, nous pourrons continuer à travailler de façon toujours plus « nomade » ; dans le train, dans un café, chez un ami… Mais le 100% télétravail n’est pas non plus souhaitable. Il risquerait de déshumaniser nos rapports et de nous couper les uns des autres.
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Certaines entreprises ont pris des positions excessives : « full télétravail », « le bureau comme exception » ou encore « le télétravail à vie » ! Attendons de voir comment va réagir la génération des nouveaux entrants recrutés en 2021, observons comment les projets collectifs vont « sortir », s’ils vont se montrer innovants et surtout s’ils vont « rencontrer leurs publics ».
L’étude de la Chaire Workplace Management de l’ESSEC Business School menée en septembre 2020 va d’ailleurs dans ce sens. [1] Sur les 2 643 interrogés, 19% seulement avaient l’habitude de faire du télétravail. À la suite du premier confinement, 73% d’entre eux souhaitaient poursuivre l’expérience du télétravail après la pandémie. Dans un même temps, bon nombre plébiscitaient toujours le bureau et ses espaces traditionnels. 31% des répondants pensaient que 2 jours de télétravail par semaine étaient suffisants. Ils souhaitaient passer, en moyenne, 55% de leur activité professionnelle au bureau ! Les chiffres sont clairs. Le télétravail doit être structuré et organisé avec un rythme de 2-3 jours par semaine au maximum en complément d’espaces de bureau qui favorisent l’interaction, la communication non verbale, la créativité et la spontanéité des rapports sociaux.
[1] http://workplace-management.essec.edu/mon-bureau-post-confinement/mon-bureau-post-confinement-ii
Nos espaces de bureau vont donc encore évoluer et garder ce que les utilisateurs souhaitent conserver. Ils deviendront plus hybrides, modulables et capables d’accueillir différentes activités. Ils seront surtout plus inclusifs, plus ouverts sur la ville et à ses habitants et probablement plus sobres. On peut également imaginer des relais fonctionnels entre le siège et ses annexes régionales ou à l’international ce qui, d’un point de vue sociétal, encourage la fluidité des transports et apparaît comme plus écologiquement responsable.
« Le bureau reste un espace de mixité et de transmission des savoirs »
La même étude, toujours, souligne que les populations les plus enclines à généraliser le télétravail sont d’abord les Millenials (individus nés entre 1978 et 1994), les cadres dirigeants et les salariés en Ile-de-France. Ne l’oublions pas, nous ne sommes pas tous égaux dans le télétravail et nous n’avons pas tous la même vision du bureau. Tout d’abord pour des raisons de moyens financiers et techniques (accès à la fibre, espaces aménagés et suffisamment grands à la maison…) mais aussi d’un point de vue culturel. Cela se ressent par exemple lorsque l’on compare les États-Unis et la Chine. Certaines entreprises implantées dans plusieurs pays pratiquent des stratégies adaptées : 100% télétravail outre-Atlantique quand les managers chinois du même groupe restent très attachés au 100% présentiel. En Europe, nous sommes généralement entre les deux. Comme je le soulignais en amont, il semble que le point d’équilibre s’ajuste autour de 2-3 jours par semaine.
Le secteur d’activité est également déterminant dans l’aménagement des temps de télétravail. Tout cela est à prendre en compte pour conserver le bien-être et l’épanouissement des salariés d’une entreprise. Quel est le dénominateur commun de ces profils si différents qui collaborent pourtant ensemble ? Le bureau ! C’est au bureau que cette diversité se rencontre, échange, partage, débat, trouve des compromis et surtout permet d’assurer la transmission entre les générations. Ce dernier point est peu évoqué et pourtant il est essentiel. L’apprentissage en full remote semble peu envisageable, le présentiel permet de créer des liens de confiance sur le long terme et l’humain fonctionne généralement par mimétisme, il observe, reproduit, améliore et s’approprie techniques et savoirs qu’il repartage. Les plus expérimentés transmettent et les plus jeunes apprennent tout en questionnant cette transmission, ce qui permet finalement aux deux d’évoluer et de progresser. C’est un processus qui existe depuis toujours, encore faut-il pouvoir se voir !
« Ne pas tomber dans la tyrannie de l’agilité »
Je le disais en introduction, le mot « nouveauté » est parfois galvaudé. Il faut parfois savoir reconnaître ce qui fonctionnait bien et continuera de bien fonctionner. En souhaitant rendre tout « agile », on risque, paradoxalement, de devenir trop rigide. Les business qui ne cessent de « pivoter » engendrent interrogations et perte de sens. L’être humain a besoin de repères, d’une certaine constance, d’une vision, de faire des choix, de les valider et de mesurer l’expérience. De nombreuses études psychologiques et sociologiques l’ont démontré, nous avons besoin, pour nous épanouir, de stabilité. Bien entendu le changement est important, il permet de nous challenger et de répondre aux défis de façon créative. Mais le bureau doit aussi être cet espace apaisé, planifié, organisé, source d’une expérience réussie, capable de rassurer et de favoriser la collaboration. C’est dans un cadre comme le bureau que nous pouvons nous concentrer, être stimulés et justement produire de nouveaux concepts.
Le bureau est un espace que nous devons constamment réenchanter. Nous devons continuer de prendre plaisir à y venir et surtout y aller pour des raisons concrètes. Ne l’oublions pas, il s’agit d’un espace social fondamental, on y rencontre des collègues, voire des amis. Dans notre vie, c’est une instance de socialisation aussi importante que l’école ou les loisirs. Si nous parvenons à intégrer tout cela, alors l’avenir du bureau me semble radieux. Je le vois comme un espace fonctionnel et interactif, complémentaire à une plus grande liberté induite par le télétravail.
Voilà ce que je vois derrière ce processus en cours et que l’on nomme le « New Normal » : un meilleur partage des temps et des espaces au service du bien-être collectif.