Richard Malle
Global Head of Research

Incertitudes liées au Brexit, ralentissement économique en Europe, tensions géopolitiques qui s’accompagnent d’une hausse des taxes douanières et d’un ralentissement des investissements et des capitaux étrangers… face à un contexte international mouvementé en 2019, le marché immobilier, qui reste intimement lié aux fluctuations économiques, à l’évolution des structures financières et des profils des investisseurs, se retrouve à la croisée des chemins : assiste-t-on au commencement d’un nouveau cycle ? Retour sur les événements qui ont impacté le secteur cette année.

Un ralentissement de l’économie européenne

En 2019, la croissance économique en Europe aura subi un ralentissement plus fort qu’attendu. Elle a notamment été fragilisée par l’escalade dans la guerre commerciale entre les États-Unis et ses principaux partenaires tels l’Europe et la Chine, les incertitudes liées au Brexit, ainsi que les tensions géopolitiques dans de nombreux pays comme en Iran, Turquie, Syrie, Corée du Nord ou à Hong Kong… Sur l’année 2019, la croissance de la zone devrait atteindre 1,1 %, à comparer à 1,9 % en 2018.

L’Allemagne, qui s’est démarquée au cours des dernières années par ses performances économiques, enregistre un net ralentissement de sa croissance. Celle-ci est attendue proche de 0,4 % en 2019 contre 1,4 % un an auparavant. L’une des raisons principales de cet essoufflement réside dans la chute des exportations, qui représentent près de la moitié de son PIB. Par exemple, les projets de taxes américaines sur l’automobile, secteur-clé de l’économie du pays, créent une grande incertitude quant à l’évolution du marché.

Notamment en France et au Royaume-Uni

Après avoir affiché des performances honorables depuis 2016, le Royaume-Uni affiche des signes de faiblesse et pâtit d’un dénouement tardif, quel qu’il sera, sur sa situation au sein de l’Union européenne. La chute de la livre sterling de près de 20 % depuis le référendum, il y a trois ans, et la baisse des investissements des entreprises liée à cette situation d’incertitude sont autant de facteurs qui pèsent sur l’économie britannique. Ainsi, même si le taux de chômage reste encore très faible à 3,8 % pour 32,8 millions d’emplois, près de 58 000 postes ont été détruits au Royaume-Uni au cours du troisième trimestre 2019. Certains pays tirent toutefois leur épingle du jeu.

C’est le cas de la France, dont les indicateurs économiques sont plus encourageants, en enregistrant une croissance de son PIB de près de 1,2 % cette année. Parmi les signes positifs, la contribution de la demande intérieure à la valeur ajoutée reste positive (1,5 point), portée par près de 250 000 créations de postes attendues sur l’année, et le rythme des investissements se maintient à 2,8 %, ce qui correspond au même niveau qu’en 2018.

 

De leur côté, la Pologne et la Hongrie affichent la deuxième plus forte croissance de l’Union européenne cette année, derrière Malte avec des PIB en hausse de plus de 4 %.

Même si l’on observe un ralentissement de plus en plus marqué de la zone économique européenne, parler d’entrée en récession reste encore très prématuré puisque de nombreux fondamentaux soutiennent l’activité : marché du travail robuste, progression du revenu des ménages, résultats des entreprises bien orientés et taux d’intérêt toujours aussi bas. Aussi, la plupart des mauvaises nouvelles semblent avoir été actées et, au cours des prochains trimestres, de bonnes nouvelles ou alors de moins mauvaises qu’anticipées pourraient apparaître, ce qui devrait redonner confiance aux acteurs, et permettre à la croissance de se stabiliser en 2020, voire même légèrement progresser.

L’impact du Brexit sur l’immobilier européen

En 2019, les volumes investis en immobilier d’entreprise au Royaume-Uni devraient fondre à près de 50 milliards d’euros, soit un recul de 28 % en un an, si bien que l’Allemagne sera cette année le premier marché de l’investissement avec près de 60 milliards d’euros. C’est pourquoi les multiples reports du Brexit pèsent sur l’immobilier tertiaire au Royaume-Uni, après une activité toutefois honorable observée en 2017 et 2018.

Mais ce contexte défavorable aux Britanniques profite-t-il aux capitales européennes ? Environ 250 institutions financières ont installé un nouveau siège social dans l’UE pour limiter les effets du Brexit, selon le groupe de réflexion New Financial. À Paris, le Brexit a d’ores et déjà entraîné la relocalisation de 1 500 postes dans le secteur de la finance, selon Paris Europlace. Dublin a attiré beaucoup de gestionnaires d’actifs et d’investisseurs à risque alors que Francfort suscite l’intérêt des banques et banques d’affaires. Bruxelles a également joué sa carte en attirant plusieurs institutions comme Lloyd’s, QBE, MS Amlin, Moneygram ou Transferwise. Mais le report de la date du Brexit a incité plusieurs grands groupes à retarder leur plan de transfert. La plupart d’entre eux optent pour l’ouverture de bureaux ou d’antennes locales pour conserver le passeport européen, leur permettant ainsi de vendre des produits financiers en zone euro.

Taux d‘intérêt bas : aubaine ou danger ?

Historiquement, les politiques de taux bas étaient concomitantes avec une conjoncture économique affaiblie et un manque d’inflation. Au cours de l’été 2019, les taux sont tombés à des niveaux historiquement bas, perforant de nouveaux planchers avec notamment un rendement de l’obligation allemande qui a plongé à -0,7 % pour une échéance de dix ans. Toutefois, la sphère économique s’interroge sur les effets positifs de cette situation alors que la Banque centrale européenne (BCE) l’amplifie en diminuant le coût de l’emprunt et en achetant davantage d’obligations. Ces taux bas sont à l’origine d’un bouleversement du modèle financier avec notamment le dépôt des liquidités des banques auprès de la BCE qui est désormais ponctionné à -0,5 %. Les ratios de solvabilité des assureurs vie se détériorent également. D’ailleurs, les dernières décisions de la BCE ont suscité de vives critiques au sein même de son Conseil des gouverneurs.

Malgré ces alertes, les fondamentaux semblent plaider pour une période de taux durablement bas, lesquels resteront à moyen terme portés à la baisse par les politiques expansives des banques centrales, une croissance économique très modérée, une inflation faible, une aversion au risque qui restera présente et, enfin, une poursuite de l’abondance de liquidités mondiales qui se reporteront mécaniquement vers les produits de taux. C’est pourquoi, pour la première fois depuis 2016, le consensus des économistes table sur une stabilisation des taux longs en 2020, à défaut de prévoir une hausse. 

Des investisseurs immobiliers en quête de diversification

En quête de rendements et de revenus toujours plus élevés, les investisseurs immobiliers n’hésitent plus à sortir de leur zone de confort pour miser sur des investissements alternatifs ou des niches naissantes ou très peu explorées auparavant. L’immobilier résidentiel et l’habitat alternatif comme le logement étudiant font partie des secteurs qui ont le vent en poupe cette année. Alors que, dans les années 2000, les investisseurs institutionnels ont progressivement délaissé l’immobilier résidentiel pour se concentrer sur des rendements plus rentables offerts par le bureau, le commerce ou la logistique, on assiste à un regain d’intérêt pour ce segment d’actifs qui s’explique par la croissance solide et la soutenabilité de ses prix, ainsi que des rendements certes faibles mais relativement moins qu’auparavant depuis la baisse générale des taux.

Autre exemple qui confirme son succès auprès des investisseurs immobiliers, le tourisme de plein air bat son plein. Avec une montée en gamme de son offre censée répondre aux nouvelles aspirations des vacanciers qui plébiscitent davantage de confort ainsi qu'une offre étoffée en équipements et en activités, ses indicateurs de performance sont au beau fixe (+15 % de fréquentation depuis 2010). Selon Eurostat, l'Europe compte près de 28 500 campings dont 70 % sont concentrés sur cinq pays : la France (27 %), le Royaume-Uni (16 %), l'Allemagne (10 %), les Pays-Bas (9 %) et l'Italie (8 %). Ainsi l’hôtellerie de plein air constitue une classe d’actifs encore peu explorée mais particulièrement intéressante pour les investisseurs. Les taux de rendement attractifs et les cash-flows sécurisés par des baux de long terme sont autant d’atouts dans une stratégie de diversification de portefeuille. Et avec un nombre de campings exploités multiplié par trois depuis 2015, l'engouement pour les « groupes d'accueil de plein air », comme on les appelle désormais, est sans doute loin de se ternir.

À mi-chemin entre le logement et l’hospitality, le marché du coliving présente également un fort potentiel en termes d’investissement. Avec la difficulté croissante d’accès au logement en zone tendue, ce modèle hybride qui propose des services à valeur ajoutée est de plus en plus prisé par les étudiants, les jeunes actifs ainsi que les personnes en transition dans leur vie et pourrait connaître la même trajectoire que son corollaire tertiaire, le coworking. Précurseur sur ce marché à fort potentiel, BNP Paribas Real Estate vient de lancer ColiveMe, la première marketplace du coliving en Europe dont l’objectif affiché est de devenir une référence pour les professionnels et utilisateurs du coliving.

Le coworking : un modèle pérenne ?

Coliving, coworking… l’immobilier n’échappe pas à la déferlante de l’économie du « co ». Avec la multiplication de nouvelles formes de travail et de nouvelles aspirations sociétales, la tendance du coworking dans l’immobilier tertiaire se confirme ces dernières années et représente un marché attractif pour les investisseurs. Le modèle économique des sociétés de coworking aura été fortement remis en cause en 2019. Ce scepticisme n’entache pourtant pas le dynamisme du marché et ce nouveau mode de travail tend à s’inscrire dans la durée. Ainsi, les espaces de coworking se multiplient en Europe et auront grandement participé à la bonne dynamique locative, en représentant une part de la demande placée à deux chiffres dans des villes comme Amsterdam (21 %), Barcelone (20 %), Londres (17 %), Milan (12 %) ou encore Bruxelles (11 %).

Malgré une conjoncture économique moins favorable qu’en 2018, le marché immobilier européen a su faire preuve d’une forte résilience sur l’année 2019. Une consolidation de l’économie se profile pour 2020 à des niveaux similaires ou légèrement supérieurs à ceux enregistrés cette année. Une croissance suffisante est donc attendue pour permettre aux marchés locatifs de poursuivre une tendance positive, notamment en termes de niveau d’offre et de loyers. À cela s’ajoute l’environnement financier de taux bas qui perdure et qui impactera, à nouveau, les taux de rendement à la baisse pour la plupart des segments d’actifs immobiliers. Dans ce contexte, le cycle haussier des valeurs des actifs immobiliers devrait se poursuivre en 2020.

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