Sylvain Hasse
Head of Corporate Services

Avec 124 000 visiteurs pour l’édition 2019 de VivaTech, soit 19 000 de plus que l’année dernière, le succès des start-up est incontestable. Mais en parcourant les allées du salon, j’ai également pu constater les synergies entre les grandes organisations comme LVMH, Sodexo ou SNCF entre autres et les 9 000 jeunes pousses de la tech (exposants, pitchs et visiteurs compris).*

Dès lors, la dichotomie entre grands comptes et start-up a-t-elle encore lieu d’être ? La prise de conscience que l’innovation et l’agilité sont des leviers de performance majeurs incite les entreprises à se rapprocher des écosystèmes start-up. Rapidement, les deux modèles commencent à cohabiter. Pour que les grands groupes tirent profit de ce rapprochement, restent compétitifs et saisissent ces leviers, ils doivent simultanément amorcer la mutation de leurs structures pour s’ouvrir à ces acteurs. Pour faire vivre ses communautés, je constate que l’entreprise revoit ses espaces vers davantage de flexibilité et de décloisonnement.

Un engouement généralisé pour l’écosystème start-up...

Tous deviennent adeptes des start-up, à commencer par le gouvernement. L’exemple de Station F en témoigne. L’ouverture du plus grand incubateur du monde à Paris en Juin 2017, à l’initiative de Xavier Niel, fondateur de Free, a été l’occasion pour Emmanuel Macron d’affirmer l’ambition de faire de la France une start-up nation. Les jeunes pousses sont pensées comme une des clés pour répondre aux enjeux du numérique, dynamiser l’économie, porter la croissance ainsi qu’insuffler du renouveau et de la disruption via leurs modes de management. L’ambition de faire de Paris la capitale des start-up favorise la création d’un écosystème propice à ces formats agiles. Face à leur nombre grandissant, les quartiers d’affaires ouvrent des espaces qui leur sont dédiés. Les espaces de coworking s’installent au cœur des immeubles de La Défense pour attirer les start-up qui profitent de la flexibilité des baux pour s’installer dans le quartier, chose impossible autrement. Par exemple, il est prévu que le groupe IWG ouvre dans l’immeuble Le Belvédère, entièrement restructuré, 18 000 m2 d’espaces de coworking. L’offre de coworking s’apprête à doubler à La Défense pour atteindre 35 000 m2. Cela concourt à créer un tissu économique diversifié, où les entreprises du CAC 40 et les start-up, symboles de la nouvelle économie, interagissent.

L’engouement généralisé pour les start-up concerne également les grands comptes en quête d’innovation et de flexibilité. En développant de nouvelles solutions, elles s’avèrent être de véritables accélérateurs de business. Les entreprises l’ont bien compris en multipliant les collaborations avec ces nouveaux acteurs. C’est le cas de BNP Paribas qui s’est allié à la start-up DreamQuark pour mettre en place un outil de ciblage et de segmentation des clients dans le métier de la banque privée, sur le marché belge. Elles représentent également pour les grandes entreprises, un vivier de talents aux compétences pointues et spécifiques qui joue un rôle clé dans la transformation digitale.

De surcroît, les grands comptes sont attirés par leur agilité, leur rapidité d’exécution et leur facilité à communiquer, casser les silos, facteurs propices à la créativité. En calquant ce modèle de performance, les grandes entreprises organisent, par exemple, de plus en plus de formations au design thinking, une approche de l’innovation et de son management. Il s’agit d’acculturer les collaborateurs aux processus de co-créativité, qu’elle soit avec l’utilisateur final, mais aussi entre les membres des équipes eux-mêmes. 

Outre les collaborations avec les start-up, certaines entreprises vont encore plus loin dans la démarche en se lançant dans la création de leurs propres pépites. C’est le cas de Total qui a incubé in-house sa propre jeune pousse Mister Asphalt, afin de faciliter le transport du bitume.**

Côté start-up, elles y voient aussi bon nombre d’intérêts à collaborer avec les grands comptes. A commencer par leur offre de services qui s’adresse pour une majorité d’entre elles à une cible d’entreprises. En effet, selon le baromètre Cap Gemini consulting et eCap Partner de 2016, près de 6 start-up sur 10 reposent sur un modèle B2B. Au plus près des grands comptes, les start-up ont naturellement plus de facilités à saisir les enjeux de leurs clients et répondre ainsi plus directement à leurs attentes. L’interaction entre les start-up et les grands comptes permet aux premières de tester rapidement leur offre de services sur les collaborateurs ou clients du groupe. Elles peuvent plus rapidement opérer un changement de stratégie, fortes de leur expérience. En outre, les jeunes pousses bénéficient des compétences des collaborateurs des grands groupes. Si l’expertise des start-up est reconnue dans leur cœur de métier, elles peuvent bénéficier des fonctions centrales de l’entreprise notamment en marketing ou juridique… Le groupe fournit les financements. Le gain de temps est énorme. Si la levée de fonds est effectivement chronophage, les start-up ont aussi plus de marge pour prouver la rentabilité de leur Business Plan. Enfin, les entreprises peuvent aider les jeunes pousses par lesquelles elles sont intéressées dans leur recherche immobilière, trop coûteuse et trop chronophage.

Toutefois, une cohabitation entre grands comptes et start-up induit des écueils qu’il s’agit de contourner. Des deux côtés, la question de la confidentialité se pose notamment en termes d’enjeux stratégiques. En ce qui concerne l‘agilité, il s’agit de trouver un équilibre quant aux process de l’entreprise qui peuvent paraître contraignants. Selon le baromètre de la relation start-up/grand groupe, édition 2019, 84% des start up interrogées trouvent que le délai entre la prise de contact et la prise de décision est lent voire très lent. Idem du côté des délais d’exécution, jugés trop lents par 77% des start up***. Charge à la start-up de ne pas ralentir son mode de fonctionnement et à l’entreprise de respecter ses procédés.

…qui induit une adaptation des stratégies immobilières des grands comptes

En tant que Head of Corporate Services chez BNP Paribas Real Estate, je peux attester que la cohabitation des grands comptes et des start-up impulse une nouvelle dynamique dans le secteur de l’immobilier d’entreprise. Elle induit une adaptation des stratégies immobilières des grands groupes au modèle start-up.

Pour que la cohabitation soit opérationnelle, les entreprises peuvent choisir d’aménager leurs bureaux pour incuber leurs propres start-up, à l’image de Total… ou pour accueillir des start-uppers. Cette adaptation implique le décloisonnement des espaces de travail, nécessaire à l’établissement d’un vivre-ensemble entre salariés des deux parties prenantes. Par exemple, les membres de la start-up Lifizz viennent travailler au besoin au siège social de BNP Paribas Real Estate, à Issy-les-Moulineaux dans un espace en flex office. Le modèle start-up décomplexe les entreprises qui peu à peu flouent la frontière entre vie professionnelle et vie privée. Par exemple, des services comme la conciergerie, les crèches, des salles de détente émergent dans les sièges sociaux des grands comptes. Enfin le bureau n’est plus réservé uniquement aux collaborateurs. Il est peu à peu pensé comme une plateforme capable d’accueillir les parties prenantes. Il joue ainsi un rôle de hub, facteur de rencontres propices à la co-création. Cette modernisation de l’espace de travail est un vecteur d’attraction des start-up.

Deuxième cas de figure, les entreprises peuvent choisir de loger des start-up dans des espaces hors les murs, voire d’excuber les projets créées in-house. Une des solutions priorisée est les espaces de coworking. Le groupe Thales a par exemple décentralisé sa digital factory dans un espace de coworking en plein cœur de Paris. Une entreprise comme Carrefour, quant à elle, a loué au groupe américain WeWork tout le cinquième étage du 198 avenue de France (XIIIe arrondissement de Paris), soit 2 500 m2. Carrefour cherchait un lieu pour son Lab Carrefour Google, dans le cadre d’un partenariat avec le membre des GAFAM. Le lab est ainsi situé dans un écosystème proche des start-up, notamment celles de la Station F, juste à côté.****

Pour que la cohabitation des grands comptes et des start-up soit pérenne, j’ai l’intime conviction que les stratégies immobilières des grandes entreprises doivent poursuivre leur transition et calquer les formats agiles et innovants des start-up face aux enjeux de la révolution digitale et la nécessité d’attirer de nouveaux talents.

*Frenchweb 2019

**Boursier.com, 2018

***Baromètre de la relation start-up/grand groupe, Le Village by Ca & Capgemini, édition 2019 réalisée auprès de 61 représentants de grands groupes et 98 représentants de start-up

****L’Opinion

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Sylvain Hasse
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